Voyage entre les steppes russes et la Belle époque française – Le Testament français

Chers lecteurs,

Préparez votre manteau d’hiver et vos gants les plus chauds, nous partons en Russie.

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« Pour la première fois de ma vie, je regardais mon pays de l’extérieur, de loin, comme si je ne lui appartenais plus. Transporté dans une grande capitale européenne, je me retournais pour contempler l’immensité des champs de blé et des plaines neigeuses sous la lune. Je voyais la Russie en français! » – p.51

Lorsque vous ouvrirez ce livre, vous tomberez dans les coeurs de deux pays, et Russie et France vous emporterons dans un univers de souvenirs superposés et saturés de sensations.

Peut-être (re) tomberez-vous amoureux de la langue françaises, ou de l’immensité de la Russie.

Peut-être, comme Alyocha, le personnage principal, vous trouverez-vous captif de ces deux héritages. Peut-être, comme-lui, tenterez-vous de vivre entre-deux mondes et entre deux langues.

Une chose est certaine: vous vous laisserez emporter par l’histoire du Testament français.

Cette histoire commence à travers les yeux émerveillés d’un enfant, qui, chaque été à Saranza, passe quelques soirées sur un balcon. Avec sa soeur, porté par la voix de sa grand-mère française, il s’envole vers la Belle époque parisienne et rêve d’« ortolans », d’un président qui se meurt dans les bras de sa maitresse, ou du Pont Neuf. Partout dans le petit appartement, il cherche les traces de l’héritage français de sa famille, jusque sur les vieilles photos :

« Ces femmes savaient que pour être belles, il fallait, quelques secondes avant que le flash ne les aveugle, prononcer ces mystérieuses syllabes françaises dont peu connaissaient le sens: « pe-tite-pomme… » (…) On disait « petite pomme », et l’ombre d’une douceur lointaine et rêveuse voilait le regard, affinait les traits, laissait planer sur le cliché la lumière tamisée des jours anciens » – p.13

Sa grand-mère, merveilleux personnage, est le point de repère de ce récit. Cette Charlotte au passé mystérieux vit dans un immeuble construit avant l’ère communiste, entourée de russes et de steppes. Elle lit chez elle des poètes français mais agit à l’extérieur comme une vraie femme russe. Tout au long du livre, elle sert d’étalon au regard que porte son petit fils sur le monde adulte:

«  Ce fut, pour elle, ce moment d’angoisse où soudain l’adulte se trahit, laisse apparaitre sa faiblesse, se sent un roi nu dans les yeux attentifs de l’enfant. Il fait alors penser à un funambule venant de faire un faux pas et qui, durant quelques secondes de déséquilibre, n’est retenu que par le regard du spectateur lui-même gêné par ce pouvoir inattendu… » – p.23

L’enfant grandit, et ne sait plus que faire des rêves du balcon de Saranza, qui sonnent faux quand il rentre à l’école.

Quelques instants, à l’adolescence, il se jette à corps perdu dans son être russe, façonné de communisme.

« Je n’avais plus qu’une envie: pouvoir, un jour, m’extraire de la tourelle étroite d’un char, sauter sur ses chenilles, puis sur la terre molle, et marcher d’un pas agréablement fatigué vers la femme-promesse » – p.199

Rattrapé et déchiré par son héritage français, il apprend peu à peu à repenser sa relation à la langue, et en comprend le pouvoir.

« Enfant, je me confondais avec la matière sonore de la langue de Charlotte. J’y nageais sans me demander pourquoi ce reflet dans l’herbe, cet éclat coloré, parfumé, vivant, existait tantôt au masculin et avait une identité crissante, fragile, cristalline imposée, semblait-il, par son nom de tsvetok, tantôt s’enveloppait d’une aura veloutée, feutrée et féminine – devenant « une fleur ».” – p. 244

Les langues et les cultures sont au centre du livre d’Andreï Makine. Il tente de démêler ce qu’elles disent de l’identité d’un homme, et de discerner la couleur qu’elles donnent aux souvenirs. Son écriture, extrêmement poétique, est profonde, ancrée dans des souvenirs qui sont en partie les siens. Les sujets sont graves, mais leur traitement est admirablement envoutant.

Voici encore deux extraits du roman, dans lesquels on touche du doigt le mélange de fraicheur et de gravité que l’on retrouve un peu partout dans l’histoire :

« Les jeunes fiancés, la veille des noces, ou encore les gens qui viennent d’emménager, doivent ressentir cette bienheureuse disparition du quotidien. Les quelques journées festives ou le joyeux désordre de l’installation dureront toujours, semble t-il, en devenant la matière même, légère et pétillante, de leur vie » p.296

« « Tu te souviens, en automne, nous avons vu un vol d’oiseaux migrateurs? – Oui, ils ont survolé la cour et puis ils ont disparu. – C’est ça, mais ils continuent à voler, quelque part, dans les pays lointains, seulement, nous, avec notre vue trop faible, nous ne pouvons pas les voir. Il en est de même pour ceux qui meurent… » » p.  283.

Si vous vous plongez dans ce livre, comme l’ami qui me l’a offert, je vous souhaite d’y « redécouvrir le France d’un regard neuf ».

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Pour ceux qui ont déjà lu et aimé Le Testament français, je conseille également la lecture de La terre et le client de Jacques Dorme, qui vous poussera un peu plus loin vers le ciel.

Et pour ceux qui souhaitent reprendre depuis le début ce triptyque des neiges littéraire, vous trouverez sur ce blog la lettre à Helga, et les lettres du Père Noël.

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