En route pour le Goulag – Zouleikha ouvre les yeux, par Gouzel Iakhina

Vous l’avez peut-être remarqué : mes gouts en littérature penchent vers le voyage, dans l’espace, le temps et l’imagination. Je n’aime pas beaucoup les biographies, et savoir si ce que je lis est “vrai” me préoccupe fort peu. La plupart du temps, mes lectures “coup de coeur” allient une histoire intéressante avec une belle écriture, souvent poétique. Ainsi, mes articles précédents consacrés à la lecture évoquent des contrées lointaines comme l’Islande, un petit village au fin fond du Japon, ou même des univers inventés. Il y a quelques années, il y a eu cet article sur le Testament français d’Andreï Makine, entre Russie et France, qui reste une de mes plus belles lectures.

Aujourd’hui, je vous propose de replonger dans l’univers russe. Cette fois, nous tournerons les yeux vers l’Est : le récit commence au Tatarstan et se termine en Sibérie. Sur le papier, les thèmes semblent connus, peut être même vus et revus : le roman se déroule en Russie soviétique, il y est question de l’exil des paysans réfractaires au kolkhoze et de la création d’un goulag en Sibérie. Comme moi, vous vous laisserez peut-être surprendre par ce livre qui est bien plus qu’une reconstitution historique…

Le parcours de Zouleikha, raconté dans ce livre, crée des ponts et passages subtils entre la petite et la grande histoire. À aucun moment, on a l’impression de se trouver face à une leçon qu’il faudrait absolument absorber parce que l’auteur s’est donné la peine de faire des recherches et qu’il veut le montrer. Et pourtant, j’ai découvert dans ce livre des tas de détails que j’ignorais sur cette page de l’histoire de la Russie.

Le roman contient des personnages auxquels on s’attache. On y suit en fil rouge l’histoire de Zouleikha, une jeune femme effacée qui vit avec son mari et sa belle-mère au Tatarstan, dans le respect des traditions de sa communauté. Cette entrée en matière m’a fascinée : avant d’attaquer cette lecture, j’ignorais tout de la culture tatare. J’ai découvert dans la première partie un peuple de religion musulmane, teintée d’animisme. Les relations entre hommes et femmes, mais aussi entre belle-mère et belle-fille y sont très codifiées.

La belle-mère infirme maltraite sa belle-fille à longueur de journée. Cela commence dès le matin, avec le pot de chambre que “la Goule” lui impose de vider, et qu’elle est capable de renverser sur sa tête si Zouleikha ne se présente pas à l’heure. Evidement, la Goule est une mère possessive qui explique chaque jour à son fils à quel point sa femme est décevante. Murtaza est considéré comme un “bon mari” par sa femme : il est solide, prévoyant, et travaille dur.

L’histoire pourrait durer et s’endormir dans ce pays enneigé, mais Gouzel Iakhina ne laisse pas le temps au lecteur de s’ennuyer : rapidement, après un évènement catastrophique, Zouleikha se retrouve seule, embarquée dans un convoi pour une destination inconnue.

Ne voulant pas divulgâcher la suite de l’histoire, je ne vous en dirai pas plus sur son déroulement. Retenez surtout que je ne me suis pas du tout ennuyée : le livre est en quatre parties, et à chaque partie correspond une ambiance et un cadre différents. Tout au long du roman, la galerie des personnages s’étoffe et évolue : on rencontre les “débris de Léningrad”, anciens membres de la haute société et de l’intelligentsia russe, Ignatov, le responsable du convoi qui devient ensuite commandant du village en Sibérie, Wolf Karlovitch, ancien médecin réputé qui lutte avec sa folie…

Et bien sûr, un bon pavé se doit de contenir une histoire d’amour ! J’ai trouvé celle de ce livre lente et subtile. Même si elle est attendue, elle parvient à échapper aux clichés.

Le dernier ingrédient que je voudrais évoquer avec vous est la nature. Elle contribue largement à la poésie de cette histoire. Traitée comme un personnage à part entière, parce qu’elle est, pour Zouleikha, peuplée d’esprits et d’animaux, elle se fait tour à tour gardienne, nourricière, meurtrière…

Vous l’aurez compris à la lecture de cet article : Zouleikha ouvre les yeux est un roman qui regroupe tous les ingrédients qui font une bonne histoire. La traduction du russe au français est tout à fait réussie : Maud Mabillard parvient à conserver la couleur russe du roman jusque dans l’écriture, tout en rendant la lecture fluide et agréable. N’hésitez pas à vous laisser embarquer !

Belle semaine et à bientôt !

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